I
Quand ils rentrèrent à la maison, venant de la Cour des Nomarques, où l’acte d’association avait été dûment ratifié, Imhotep et ses fils étaient d’excellente humeur, à l’exception du seul Ipy, écarté au dernier moment en raison de son extrême jeunesse. Amer et sombre, il s’éclipsa tout de suite, cependant que son père envoyait chercher une jarre de vin pour fêter l’événement.
— Nous allons boire, mon fils ! dit-il, administrant à Yahmose une tape amicale sur l’épaule. Oublie pour un instant ton chagrin et ne pense qu’aux jours heureux qui sont devant nous !
Imhotep, Yahmose, Sobek et Hori burent de compagnie. Puis, quelqu’un vint annoncer qu’un bœuf avait été volé et les quatre hommes sortirent en hâte pour s’occuper de l’incident.
Quand il revint, une heure plus tard, Yahmose avait très chaud et se sentait fatigué. Il alla sous le porche, plongea une coupe de bronze dans la jarre de vin, qui n’avait pas bougé de l’endroit où on l’avait laissée, et but à petites gorgées. Sobek, arrivant peu après, vint s’arrêter auprès de lui.
— Il reste du vin ? s’écria-t-il, d’un ton joyeux. Bravo ! Buvons ensemble à notre avenir, maintenant assuré. Car, pour nous deux, Yahmose, ce jour est vraiment un beau jour !
Yahmose en convint.
— Il est certain que la vie nous sera plus facile !
— On ne te reprochera décidément jamais d’être trop enthousiaste.
Sobek, riant, se servit, vida sa coupe, la posa, tout en s’essuyant les lèvres, et reprit :
— Nous allons voir maintenant si notre père entend s’en tenir aux vieilles méthodes routinières d’exploitation ou si je pourrai le convertir aux procédés modernes.
— A ta place, fit remarquer Yahmose, je ne m’emballerais pas ! Tu vas toujours trop vite…
Sobek sourit gentiment à son frère.
— Qui va lentement va sûrement, hein ?
Yahmose lui retourna son sourire, mais sans renoncer à son point de vue.
— A la longue, on s’aperçoit que c’est la bonne politique. D’autre part, notre père s’est montré très bon pour nous et nous devons nous attacher à ne pas lui faire de peine.
Sobek fronça le sourcil.
— Je t’admire ! Tu es un bon fils, Yahmose. Seulement, moi, je n’aime personne… Personne, exception faite de Sobek, et c’est à sa santé que je bois !
Il avala une autre coupe de vin.
— Tu as tort, dit Yahmose. Tu as mangé très légèrement et, parfois, quand on boit du vin…
Il s’interrompit, les lèvres tordues dans une contraction douloureuse.
— Qu’est-ce que tu as, Yahmose ?
— Rien… Une douleur… Ce n’est rien…
Il porta la main à son front en sueur.
— Tu n’as pas l’air d’aller ?
— Je me sentais très bien. Et puis…
— Du moment que personne n’a empoisonné ce vin… Sobek, riant de sa propre plaisanterie, désignait la jarre du geste. Soudain, son bras se raidit, ses traits se contractèrent et, avec un cri, il s’écroula.
— Yahmose !… Je…
Yahmose, courbé en deux par la douleur, gémissait. Sobek, qui se tordait par terre, hurlait :
— Au secours ! Au sec…
Henet accourait, venant de la maison.
— Vous avez appelé ? Qu’y a-t-il ?
D’autres arrivaient derrière elle. Les deux frères se roulaient sur le sol en geignant. Yahmose trouva moyen d’articuler quelques mots, d’une voix très faible :
— Le vin… Poison… Un médecin…
Henet poussa un cri, puis donna des ordres :
— Vite ! vite ! Qu’on coure au temple et qu’on ramène le divin père Mersu. Vite ! Cette maison est maudite.